CA Evian, Il y a soixante ans !

Dans une petite localité touristique de 4000 habitants, le club de l’aviron d’Évian est ouvert chaque jour et accueille de nombreux jeunes pour une pratique assidue, ludique et généreusement débonnaire, sous la direction sportive d’un technicien hors-pair doté d’une âme d’animateur remarquable et peu commune, Henri JACQUIER. Encouragé par le Maire de l’époque, depuis plusieurs années, il mène la barque de l’association sans dévier de la trajectoire qu’il s’est imposé, former, entraîner et motiver les jeunes venus avec passion pratiquer le « coup de rame ». Au fil des saisons, à partir de 1961 à Choisy-le-Roi, les résultats éveillent les clubs de la ligue. Les embarcations du club, dès lors, jouent un rôle important pour le classement de la Coupe de l’avenir (1). Issu de ses rangs, Claude PERROLLAZ devient le premier finaliste d’un championnat de France, troisième en skiff cadet. C’est le déclic annonciateur de nombreuses réussites qui vont suivre.

Malgré la concurrence du football, l’institution sportive léonine du secteur, auréolée d’une finale de la coupe Gambardella (2), « excusez du peu ! » beaucoup d’adeptes choisissent le club pour son ambiance et la qualité de l’enseignement sportif. La pratique de notre sport sur le Léman oblige Henri à utiliser d’autres activités pour améliorer la condition physique. Ainsi on court, joue au rugby, au volley, esquive en boxe, mais surtout on pratique moult exercices issus des parcours Maigrot ! Tout le monde progresse et en 1963 le premier huit junior est constitué et à la grande surprise des aixois gagne toutes ses courses en Dauphiné-Savoie. Le club ne possède pourtant pas de bateau grâce à un prêt du club de Lausanne, les rameurs se qualifient pour leur premier championnat de France à Vichy. Sur le site, nous sommes impressionnés au passage du pont de l’Allier, par le premier balisage Albano installé dans l’hexagone, par le club. La concurrence est de qualité mais les savoyards ne doutent pas et décrochent la troisième place derrière Nantes et le CA Lyon.

L’année suivante deux rameurs deviennent seniors et sont remplacés. L’équipage ne perd pas en qualité et la même aventure aboutit au résultat identique. Le Maire Camille BLANC (3), ne pourra jamais féliciter Henri pour son investissement bénévole au profit des jeunes de la commune et son inlassable travail pour la réussite de chacun. Son leitmotiv restera sa volonté, grâce à sa force de caractère et au travers du sport, à former des adultes responsables et équilibrés.

Les années ont passé, plusieurs rameurs ont disparu et il m’a semblé que le devoir de mémoire, pour eux et le club, est de ranimer la flamme de ce que nous avons vécu intensément. Un jour est fixé pour aller faire un tour sur l’eau, en huit. Comme à l’accoutumée, le plan d’eau est vivant mais nous arrivons à propulser l’engin avec le plaisir des sensations retrouvées malgré une condition peu encline à l’exploit mais comme le signifie un des rameurs : « c’est comme le vélo, ça marche encore ! ». La sortie se déroule sans problème avec quelques séquences sans toucher l’eau ! Au débarquement un petit moment de recueillement et nous rangeons le matériel. Michel BLANC le vice-Président du club est ravi et envisage de renouveler l’opération.

Au-delà de cette passion sportive, tous les acteurs ont évidemment évolué et logiquement réalisé leur vie professionnelle. Cet aboutissement est le reflet de la qualité de l’engagement de nos éducateurs. Mais également grâce aux caractéristiques de notre sport formateur, voir intransigeant, qui exige énormément. On ne triche pas, ni avec le règlement ni avec soi-même et on ne pourra jamais travestir en performance, une course subie en demi-teinte ! Cette cohérence forge le caractère et aguerri pour les futures responsabilités d’adultes.

Tous issus d’un milieu modeste, la volonté et le courage d’entreprendre les ont amenés à de belles réussites. Je vous témoigne la carrière qui a émaillé leur parcours de vie professionnelle.

Richard s’est ingénié à mettre en valeur les sols dans son métier de carreleur, très sollicité pour sa maîtrise. Jacky nous a fait découvrir le fruit de l’avocatier, ses perles exotiques et vendu ses fruits et légumes avec sa légendaire gentillesse, avant de migrer en chauffeur dans toute l’Europe. Francis est devenu chef de service en néphrologie et œuvre comme médecin bénévole de la FFA, il reste également celui du club et des régates de quartier et souvent notre « dottore » préféré. Jean-Claude éminent juriste a œuvré à Bonneville et terminé sa carrière à la présidence de la cour de Nîmes en drivant des procès retentissant. Jacques B. après son titre en deux de couple élite, s’est attelé à la direction d’une importante imprimerie locale, très investi il a fait la démonstration que le travail et l’investissement personnel peuvent être reconnus. Claude P. après des études dentaires a réussi le diplôme d’orthodontiste en même temps que ses professeurs (sic). On peut le voir ramer régulièrement sur le Rhône avec une autre passion, celle d’apiculteur amateur éclairé. Daniel a chaussé les skis de moniteur pour enseigner et manager une école de ski. Dans le même temps il a utilisé le sextant dans son job de moniteur de voile. Camille, expert en métrage a dirigé drastiquement les services techniques de la commune voisine. Claude B. fraiseur sur métaux, après avoir milité en mai 68 a exercé habilement son talent en menuiserie, allant jusqu’en Afrique pour former les autochtones. Votre serviteur pendant 18 ans a farouchement défendu l’aviron féminin en coachant les rameuses et assuré la formation des entraîneurs de la FFSA pendant 35 années. Jean-Claude BARATHAY, plombier apprécié, a endossé la responsabilité de la gestion du port de la ville (600 bateaux) et surtout assumé pendant un demi-siècle la réussite des rameurs du club avec beaucoup de talent et d’efficacité. Le palmarès de plus de cinquante titres nationaux restera longtemps inégalé et son talent difficile à remplacer.

Voilà une page d’histoire de sport à partager qu’il eut été dommage d’occulter.

Claude Jacquier, ancien et toujours rameur.

 

  1. Épreuve qui oppose les clubs du Dauphiné-Savoie en trois manches avec un classement pour les équipes et le club.
  2. Coupe de France de football pour les juniors.
  3. Premier édile de la ville depuis 1945, il fut assassiné par l’OAS, en 1961, pour avoir accepté d’accueillir la première conférence de la paix avec l’Algérie.

 

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